Au fil des années, les balades prennent un nom. Le bois et retour, le chemin des abeilles, la grotte, le chemin des trolls, le trou de la sorcière, les Baumettes par le haut, et bien d’autres noms encore.
Il ne faut rien ajouter au nom, son énoncé dit tout ; la durée, la pente, les souliers qu’il faut, qui vous accompagnera ou ne vous accompagnera pas. Et puis il y a les arrêts.
La balade des abeilles est propice aux arrêts. La premier fut forcé. C’était il y a longtemps, une méchante entorse. Quelqu’un passe par là et m’aide à regagner la route où l’on viendra me chercher.
– Je me rends à mes ruches, me dit-il.
– Ah c’est vous l’apiculteur ?
– Moi et un ami, me répond-il.
Malheureusement le bon samaritain est décédé, mais son ami est toujours là. Depuis, les arrêts sont choisis, jamais forcés. Car j’aime m’entretenir avec M. Asenjo et lui aussi, je crois.
Hier, je suis allé au chemin des abeilles pour lui acheter du miel. On parle, il m’apprend que les abeilles butinent dans un rayon de cinq kilomètres de leur ruche. Je lui dis que j’habite à un kilomètre à vol d’oiseau d’ici et que la vigne vierge de mon jardin bourdonne chaque été.
– Alors ce miel est un peu à vous, s’exclame-t-il !
Et il m’en offre un pot supplémentaire.
En rentrant chez moi, je me dis qu’il n’a pas tort; j’ai enregistré le son de la vigne le 20 juillet et le miel est d’août. Ça colle.
Quelqu’un me demande où se trouvent les ruches et la cabane de M. Asenjo.
Je lui réponds par une citation d’Hermann Melville dans Moby Dick: « Ce n’est sur aucune carte ; les vrais lieux n’y figurent jamais. » Puis j’ajoute :
– Suis-moi dans la forêt, ou contacte M. Asenjo.
– Alors allons-y. Au fait, pourquoi ce titre Ou camin das abellas ?
– M. Asenjo vient d’un village des montagnes galiciennes. Il est venu en Suisse à l’âge de dix-sept ans, avec une passion transmise par son grand-père. Ensemble ils allaient en forêt chercher le miel des abeilles sauvages.
Je continuerai à m’arrêter au chemin des abeilles, même si la balade est courte et sans difficulté.