Arpenter l’Ouest

Remédiation matinale

Remédiation : (définition extraite de Pédagogie : dictionnaire des concepts clés / Raynal, Françoise ; Rieunier, Alain. ESF 1998) « mot qui a la même racine que remède, et qui, dans le domaine des sciences de l’action, est synonyme d’action corrective ou mieux, de régulation. En pédagogie, la remédiation est un dispositif plus ou moins formel qui consiste à fournir à l’apprenant de nouvelles activités d’apprentissage pour lui permettre de combler les lacunes diagnostiquées lors d’une évaluation formative. On a recours pour cela à différentes propositions pédagogiques, qui pour être efficaces, doivent être sensiblement différentes des méthodes utilisées lors de la phase d’enseignement: aides audiovisuelles, informatiques, petits groupes de travail, enseignement individualisé, enseignement mutuel, nouveaux cahiers d’exercices, nouveaux documents à étudier, situations différenciées… ». D’où le lien étroit entre remédiation et pédagogie différenciée.

(Source : site internet du Centre d’Etudes Pédagogiques pour l’Expérimentation et le Conseil International)


Le dialogue qui suit est imaginaire. Il a lieu dans une cuisine, au petit matin. Un chien -appelons-le le chien- vient de rentrer par la porte-fenêtre qui donne sur le jardin. Il a remis à son maître, le type qui boit le café à la table ronde -appelons-le le maître- le courrier du jour qu’il tenait délicatement dans sa gueule. Le chien se sert une tasse de café et s’attable tandis que le maître attaque la lecture du courrier. 

Toute ressemblance avec la réalité, par exemple un chien se prénommant Nestor et un type se faisant appeler l’Arpenteur serait fortuite et indépendante de la volonté de l’auteur.

La feuille dont il est question dans le dialogue

(La feuille dont il est question dans le dialogue)

– La lecture de cette feuille te met en joie, ou je me trompe ? dit le chien.

– Absolument, j’ai la preuve qu’on nous lit en haut lieu ! Ils ont rajouté plan de devant quartier, Florissant est donc reconnu !

– Que tu es naïf mon bon maître ! Puis-je te proposer une lecture moins égocentrée de ce document, plus critique et plus proche de la réalité ?

– Tu l’as déjà lu ?

– Cette nuit, sur internet. J’avais de la peine à dormir, avec tous ces renards qui rôdent…

– Bon, j’écoute, accorde le maître soudain aussi refroidi que le café dans sa tasse.

– Je vais expliciter ces quelques lignes tout en rappelant le contexte.

– J’écoute ! te dis-je.

– Certes, il y a du positif (en vert sur mon document). Le plan de quartier projeté va être présenté, la maquette devrait permettre d’en saisir toutes les dimensions et les autorités semblent ouvertes au débat puisqu’elles ont convié à la table-ronde des représentants du Groupe d’Intérêt de Florissant (GIF). Voilà pour le positif.

– Jusque-là on est d’accord…

– Mais lors de ma lecture nocturne, j’ai aussi marqué quelques passages en rouge. Il s’agit d’éléments franchement préoccupants, qui donnent à penser que l’on parle d’un autre quartier que celui que je connais ou alors qu’on veut faire le forcing, du genre « il faut rénover ce quartier parce qu’il a la rage… »

– Là, tu sais de quoi tu parles, mon bon chien !

– On ne peut pas rire de tout !

– Bon, excuse-moi ! Et maintenant, dis-moi pourquoi tu vois rouge.

– Tout d’abord, il est rare que les autorités cantonales soient présentes à ce stade des débats. Le schéma montre bien que l’on est au tout début du processus. Je crains que les propriétaires, les autorités communales et les urbanistes cherchent des appuis pour bétonner leur position. J’imagine que le Canton va déléguer ses meilleurs apôtres de la densification, que dis-je, de la surdensification, on parle tout de même d’un quartier de mille quatre cents habitants. Je parie qu’on aura droit à la lecture de la première épître aux bâtisseurs, suivie d’un sermon ponctué de développement durable, de démocratie participative sur fond d’agenda 21 et de nature en ville.

– Bois ce verre d’eau, tu es tout vert.

– Merci ! Et ensuite, comment peut-on dire que ce quartier doit être rénové ? Je pense qu’une telle affirmation relève de l’imposture. Ce quartier comporte des logements et des espaces de qualité, son école a été rénovée, seules deux barres situées au nord du quartier mériteraient des travaux. A ma connaissance elles appartiennent à l’une des familles les plus fortunées de la région et les autorités n’ont rien fait pour que ces travaux aient lieu.

– Peut-être que ces propriétaires seront présents à la table-ronde et qu’ils s’en expliqueront ?

– J’aime ta naïveté… Mais ce n’est pas tout. Je peine à comprendre cette obstination à vouloir construire des logements ici. Certes, l’argument de la proximité des transports publics et des services n’est pas faux, mais plusieurs projets en cours ou imminents visent à réaliser davantage de logements dans des espaces bien plus proches des transports publics, en particulier des gares, et des services. Je pense notamment à Renens-Croisée, à Renens-Entrepôtsau sud de Crissier (Alpes Sud) et à Malley, sans compter tous les autres projets à venir.

– Les propriétaires de ces parcelles constructibles seraient donc des enragés ?

– Tu comprends vite ! Quant aux équipement publics, soit ils sont déjà réalisés, l’école, soit on peut penser qu’ils relèvent de la tactique. Le projet d’EMS par exemple est apparu dans les dernières moutures du plan de quartier, comme une ultime parade à opposer aux habitants du quartier qui clament depuis 2008 qu’ils ne veulent pas de surdensification.

– Et ce projet de parc et d’espaces publics, n’est-ce pas une bonne idée ?

– Tu plaisantes ou tu comprends lentement ? Tu sais qu’il existe déjà le parc Sauter et que les espaces verts sont nombreux entre les immeubles. Ne te souviens-tu pas de ces balades durant lesquelles nous avons vu tous ces enfants courir et jouer ? Aujourd’hui certains pensent que sans place de jeux aménagée il n’y a pas de jeu ! Quelle bêtise ! En fait on imperméabilise ainsi encore plus de surfaces ou alors on utilise ces places clôturées, sécurisées et aseptisées pour masquer les parkings souterrains, corollaires de la densification.

– Et ces deux commerces de proximité, ils te laissent vraiment de marbre, toi qui consomme quotidiennement deux doses de croquettes ?

– Tu sais comme moi qu’il n’y a plus qu’un commerce de proximité ! Les autorités feignent d’ignorer la fermeture de l’autre qui a déménagé à Malley. L’ancien local reste vide grâce à une gérance, un propriétaire et un ancien locataire, des acteurs qui d’habitude se gargarisent de libéralisme économique. En fait un couple était prêt à louer ce local pour en faire un véritable commerce de proximité, mais point de bail pour eux.

– Tu m’as convaincu mon bon chien. Et je pense que de nous deux, c’est à toi d’assister à cette soirée du 3 février prochain.

– Les chiens sont acceptés à la Salle de spectacles de Renens ?

– Oui, s’ils montrent patte blanche et se tiennent bien.

– Mais tu sais que je préfère la langue qui aboie à la langue de bois ?

– Oui, mais tu feras un effort, et s’il y a une vote (v)indicatif tu lèveras la bonne patte !

– Quoi ?!?

– Une patte avant, ça te changera !

– Non, vas-y toi, je ne la sens pas cette soirée.

– D’accord.

– Mais ne traîne pas trop à l’apéro de clôture.

– Aucun risque, le lendemain y a école.

D’un coup, le chien se calme. Il réalise que dans quelques jours le maître reprendra le train et que lui, le chien, retrouvera son train-train quotidien : la cuisine pour lui tout seul, mais aussi la maison, le jardin, la rue, le quartier, la ville, les voisines, bref l’ouest entier. Il se sert une autre tasse de café et la savoure à petites gorgées.

Puis, pas encore convaincu que son maître ait vraiment compris le sujet, le chien lui indique de nouvelles activités d’apprentissage pour lui permettre de combler les lacunes diagnostiquées lors de la lecture du document annonçant la soirée du 3 février. Il lui demande de rédiger une série d’articles sur le thème suivant : Florissant, un espace vécu.

Le maître saute de joie, il aura de nouveau l’occasion de faire l’école buissonnière avec son carnet, son magnétophone et son petit appareil photo. Déjà il imagine un titre pour ses devoirs du deuxième semestre qui arrive à grands pas : Zigzags à Florissant, dans l’espace et dans le temps.

Il fait maintenant grand jour dans la cuisine, mais le chien somnole, rêvant de liberté pendant que le maître rêve d’un blog.

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